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ProfessionnElle du Droit

L’indemnisation en cas de résiliation irrégulière d’un marché à bons de commande

19 Décembre 2018 , Rédigé par Virginie Prévôt Publié dans #Marchés Publics

L’indemnisation en cas de résiliation irrégulière d’un marché à bons de commande

Le Centre hospitalier de Vendôme avait confié à la société du Docteur Jacques Franc des prestations d’interprétation de radiographies produites par ses services par un marché public à bons de commandes. Le Centre hospitalier a rapidement résilié le contrat, aux frais et risques de la Société pour manquement à ses obligations contractuelles.

 

La Société du Docteur Jacques Franc a alors engagé un contentieux afin d’obtenir l’indemnisation du préjudice causé par cette résiliation irrégulière. En effet, le titulaire d’un marché irrégulièrement résilié est en droit de demander :

  • l’indemnisation de l’ensemble des coûts résultant pour lui de la cessation anticipée du marché ;
  • l’indemnisation de son manque à gagner, c’est-à-dire le bénéfice manqué par le titulaire en raison de l’interruption illégitime du marché.

 

Il convient de rappeler que le calcul du manque à gagner dépend principalement de deux variables : le chiffre d’affaires que l’entreprise aurait réalisé en exécutant le marché et le taux de marge net de l’entreprise à appliquer à ce chiffre d’affaires.

 

Dans cette affaire, par un premier jugement avant-dire droit, le Tribunal administratif d’Orléans a jugé irrégulière la résiliation prononcée par le Centre hospitalier. Par un second jugement, faisant suite à une expertise, le Tribunal administratif a condamné le Centre hospitalier à indemniser la Société au titre du manque à gagner subi du fait de la résiliation condamnée.

 

La Société a interjeté appel devant la Cour administrative d’appel de Nantes qui, par un arrêt du 15 mars 2017, a augmenté la somme à verser au titre de l’indemnisation.

 

Mais, le surplus de ses conclusions ayant été rejeté, la société a exercé un pourvoi en cassation et le Conseil d’Etat a statué le 10 octobre 2018 sur cette affaire.

 

Dans l’affaire commentée, intéressant la résiliation d’un marché à bons de commande, le Conseil d’Etat devait se prononcer pour la première fois sur la valeur à retenir pour évaluer le préjudice subi par la société. La spécificité du marché à bons de commande tient en effet à la circonstance que la personne publique commande les prestations au fur et à mesure de l’apparition de ses besoins, de telle sorte qu’il est difficile de projeter, avec certitude, les recettes que le cocontractant aurait tiré de l’exécution du marché.

 

Or, si le titulaire d’un marché résilié irrégulièrement peut prétendre à être indemnisé de « la perte du bénéfice net dont il a été privé », il lui appartient d’établir la réalité de ce préjudice. Il est difficile d’établir le préjudice dans le cas d’un marché à bons de commande.

 

C’est ce qui justifie que le Tribunal administratif puis la Cour administrative d’appel ont estimé que la société requérante ne pouvait se voir indemnisée que du bénéfice qu’elle aurait tiré des recettes certaines du marché, c’est-à-dire le montant minimal des commandes auquel le centre hospitalier s’était engagé, sans pouvoir se prévaloir des commandes réellement passées en cours d’exécution du marché.

 

C’est donc un raisonnement juridique qui a été retenu (en se fondant sur le montant minimum du marché à bons de commandes) et non pas économique et financier (en se fondant sur les prestations réalisées avant que le marché soit résilié).

 

Visiblement convaincu par cette méthode, le rapporteur public avait indiqué sur ce point « Il ne nous semble donc pas illégitime de retenir, lorsqu’il existe, le minimum de commandes garanti, de préférence au résultat d’un raisonnement probabiliste, pour calculer le chiffre d’affaires de référence » (Conclusions du rapporteur public M. Henrard sous la décision commentée).

 

Dans son arrêt du 10 octobre, le rapporteur public est suivi par le Conseil d’Etat, qui valide cette approche et retient la solution suivante : « Considérant que si le titulaire d’un marché résilié irrégulièrement peut prétendre à être indemnisé de la perte du bénéfice net dont il a été privé, il lui appartient d’établir la réalité de ce préjudice ; que dans le cas d’un marché à bons de commande dont les documents contractuels prévoient un minimum en valeur ou en quantité, le manque à gagner ne revêt un caractère certain qu’en ce qu’il porte sur ce minimum garanti ».

 

Cette méthode sécurise l’évaluation de l’indemnité de résiliation en tenant compte des données économiques et financières. Elle clarifie le débat mais pénalise le titulaire résilié lorsque l’acheteur commandait plus que le montant garanti. Sur ce point, il est intéressant de relever que le rapporteur public avait considéré qu’il n’était pas inéquitable que la sécurité qui est accordée au titulaire d’un marché à bons de commande avec un minimum garanti trouve une contrepartie en cas de résiliation du marché.

 

Conseil d’Etat, 10 octobre 2018, Société du docteur Jacques Franc, n° 410501

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